L’ami auquel j’avais proposé de m’accompagner au premier des Proms du Philharmonique de New York s’était désisté. Maazel? ‘Trop froid’. Le second avait accepté, mais sur la foi d’un programme bâti pour conduire à l’apothéose du Sacre du printemps. Une création (les Rhapsodies du New-Yorkais Steven Stucky, anecdotiques et bien ficelées – autant dire inutiles), une friandise (le Concerto en fa de Gershwin, Thibaudet au piano), et la machine infernale du vieil Igor pour finir – laquelle, soit dit en passant, est en voie de devenir ce que la 5ème de Beethoven était aux concerts-promenade de l’avant-guerre. Son absence d’un festival long de deux mois aurait quelque chose d’inexplicable. Le ‘scandale’ du Sacre serait qu’on ne le jouât point.
Mais je reviens à Maazel. J’ai toujours eu une tendresse particulière pour l’Américain de Neuilly-sur-Seine, dont je connais l’enregistrement de l’Enfant et les sortilèges par coeur. Et quand on me le dit ‘froid’, je pense aux pastoureaux et aux pastourelles de Colette, et à la façon dont Maazel les fit descendre de leur tapisserie. Ce froid-là m’a fait frémir, de plaisir et d’émotion.
Le maestro a vieilli depuis. Il s’appuie fréquemment sur l’arceau métallique qui sépare son podium des promenadiers. Autrefois, c’était une coquetterie de chef suffisamment sûr de lui-même et de ses troupes pour se passer de la main gauche, se servant de son bâton comme un chef d’escouade brandissait son revolver pour sortir de la tranchée. La main gauche qui est le poumon de l’orchestre, tandis que la droite imprime le rythme à son coeur. Boum-boum, boum-boum. La mécanique du vivant. Maazel, le plus souvent, dirige avec un seul bras. Il mouline à ravir, d’ailleurs. La battue est précise, gracieuse, contrôlée comme l’archet d’un virtuose.
Pas de partition. Le Sacre à l’aveugle, comme, le lendemain, Le Mandarin merveilleux, et une 4ème de Tchaikovski exécutée avec ce qu’il faut de brio pour déclencher rappel après rappel. Les cuivres sont bien trop forts pour une salle comme le Royal Albert Hall, où le son dérive comme un ballon gonflé à l’hélium par gros temps.
Pas de partition? Koussevitzky avait besoin de sa version en 4/4 pour diriger le Sacre, lui qui avait essuyé les plâtres de tant de premières. Mais Maazel ne fait pas dans la modestie. Il est chef et se rêve compositeur. 1984, cet opéra branlant qu’il a imposé à Covent Garden et à la Scala, est une manière d’aveu.
Lorsqu’une oeuvre s’achève et qu’on bat des mains, je remarque que pas un seul violoniste ne frappe son pupitre de son archet. Les bois croisent les bras, les cuivres restent de bronze. Si Maazel a le Philharmonique de New York dans sa poche, c’est comme un pickpocket.
Deuxième concert, le lendemain. Il massacre cette merveille, Ma Mère l’Oye. Le Jardin des délices est embarqué comme un passager clandestin, si frénétiquement que l’on a hâte d’en finir. L’orchestre aussi d’ailleurs, qui a la tête ailleurs. Les pages les plus érotiques de Ravel (avec Shéhérazade), celles qui évoquent le plus puissamment la communion des corps, deviennent un acte masturbatoire achevé à la va-vite, fonctionnel et vide de sens (prenez ce mot comme il vous conviendra). Je pense aux versions de Jean Martinon et de Charles Dutoit, à Rattle, aussi, qui se souvenaient qu’entre les lignes de ce conte pour enfants était aussi écrit un poème d’amour.
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