Sunday, 31 August 2008

Susanna Mälkki

Y a-t-il donc un ‘miracle finlandais’? Comment expliquer autrement qu’un pays minuscule (moins de cinq millions et demi d’habitants) continue de produire proportionnellement plus de musiciens de haut vol que quelque autre pays du monde?

Cete question me trotte dans la tête depuis un trop bref séjour que je fis à Helsinki il y a sept ou huit ans de cela, la seule occasion que j’ai eue de collaborer avec des instrumentistes formés à l’Académie Sibelius. Leur aisance technique m’avait ébloui; la modestie avec laquelle ils assumaient celle-ci encore plus. Et ce sont ces deux mêmes qualités qui m’ont frappé lorsque je découvris la chef d’orchestre Susanna Mälkki la semaine passée, à l’occasion d’un concert qui demeurera pour moi le plus mémorable de ceux auxquels j’ai pu assister depuis le début des Proms. Le programme était magnifique: le Faune de Debussy, The Lark Ascending de Vaughan-Williams, la première britannique du Seven de Peter Eötvös, Shéhérazade et la Suite No.2 de Daphnis de Ravel. J’ai dit: ‘un programme’, j’aurais dû écrire: ‘un festin’, dont je suis sorti repu comme un moine à la sortie du carême, et léger comme le plus affriolant des millefeuilles.

Peter Eötvös en personne devait diriger le Philharmonia ce soir-là, mais dut déclarer forfait 48 heures avant le concert, victime d’un malaise. Mäalki sauta dans la brèche et grimpa sur le podium, habillée d’un sombre manteau-cape, sa tête un bouchon blond sur un corps svelte et longiligne. Dès la première entrée des cordes, je me tournai vers ma fille pour lui dire – ‘cette femme a vraiment quelque chose’. Et ce quelque chose, c’était ses mains.

Mäalki n’a ni le charisme d’un Dudamel, ni l’expressivité si fine d’un Janssons. Mais elle a pour elle une technique éblouissante de précision et admirable d’humilité, comme il sied peut-être à une violoncelliste qui aurait pu faire sien pour la vie le premier pupitre de l’orchestre de Göteborg. Elle se souvient de ce que c’est que vivre l’archet dans l’attente d’un battement; elle répugne à se servir de grands mots, dit-on; la musique, pour elle, est une pratique avant d’être un spectacle. Le Philharmonia – des cinq grands orchestres londoniens, celui qui me tient le plus à coeur, en ce qu’il est toujours imprévisible, et parfois génial -, répondit avec la ferveur dont il est capable, tout comme la soliste japonaise Akiko Suwanai, qui ôta de The Lark Ascending toutes les croûtes de sentimentalisme que des décennies d’interpétation paresseuse ont déposées sur sa fraîcheur essentielle. Ma fille se tourna vers moi. ‘That’s so beautiful…what is that music?’ C’est à des moments comme ceux-là qu’on se gonfle de la joie d’être père.

Le sommet? Non pas Shéhérazade, dans lequel la mezzo Sarah Connolly lutta comme elle put contre la cruelle acoustique du Royal Albert Hall, confondant souvent langueur et lenteur dans sa lecture d’un ‘Asie’ qui exige de son interprète un contrôle absolu des tempi et des permutations rythmiques presque diaboliques du jeune Ravel. Mälkki, je crois, le sentit, et atténua les dynamiques des deux autres chansons de ce chef d’oeuvre presque inchantable.

Non, ce fut le Seven de Peter Eötvös, que j’entendais pour la première fois. Une oeuvre aussi complexe que celle-là requiert à la fois métier et innocence. D’évidence, Mälkki possède les deux. Eötvös est de ces rarissimes compositeurs qui refusent de voir dans l’emploi d’un langage atonal (encore que, de temps autre, une triade ou un accord presque parfait émerge des agglomérats harmoniques – je songe à une irruption des cors, qui avait quelque chose de bouleversant dans un tel contexte harmonique) un obstacle à la communication, ou une illustration de cet obstacle. Un concerto pour violon, une rhapsodie pour orchestre? J’ignore dans quelle catégorie ranger cette oeuvre, et, franchement, m’en fiche absolument. Il s’agit d’abord d’un In Memoriam des sept astronautes qui périrent dans la désintégration de la navette Columbia, représentés ici par autant de violons disposés sur le pourtour de l’Albert Hall. L’un d’entre eux était positionné à trois mètres de nous. En d’autres circonstances, ce gimmick apparent aurait pu nous désarçonner, nous faire perdre le fil d’une composition merveilleusement libre et merveilleusement agencée. Pas cette fois. Je ne crois pas que Mälkki ait jamais dirigé cette oeuvre – que le Philharmonia découvrait. J’espère qu’elle le fera à nouveau, et j’espère être là.

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